AQUARELLES Georges SAUGY
GEORGES SAUGY
GRAND SAINT BERNARD, PRINTEMPS 1945.
Un peu d’histoire moderne:
Automne 1942, au cours de la 2ème guerre mondiale, à
l’exception du Portugal, de l’Espagne, de la
Suède et bien sûr de la Suisse, neutres, l’Europe
continentale est occupée par les armées allemandes. En
Afrique du Nord, jusqu’alors occupée par les forces
italo-allemandes et pro-allemandes, les forces alliées
parviennent à reprendre pied et à s’installer; elles
débarquent en Sicile en Juillet et à Salerne en Septembre
1943 et commencent une lente remontée de la péninsule
italienne: prise de Rome en Juin 1944 et franchissement du
Pô en Avril 1945. En juin et Août 1944, ont lieu les
débarquement de Normandie et de Provence, le début de la
fin du IIIème Reich que Hitler voulait millénaire...
La compagnie territoriale de fusiliers, à laquelle
appartenait l’appointé (1ère classe) Georges Saugy, père de
l’auteur de ce site, avait été mobilisée en 1939 à
Saint Maurice (Vs). Après diverses affectations, elle
contrôlait pendant l’hiver 1944-45 le col du Grand
Saint Bernard, passage historique vers la vallée
d’Aoste et les plaines de Lombardie. A
l’époque, le tunnel n’existait pas encore. Une
cinquantaine d’hommes (photo 4509), aux ordres de 2
officiers, le cap. Rosset et le plt. Bach était cantonnée
dans la vallée d’Entremont (Orsières, Liddes et Bourg
Saint Pierre). Un petit détachement était hébergé dans les
bâtiments du monastère du col, une demi-douzaine, car le
ravitaillement était difficile, composé des meilleurs
skieurs de la compagnie. Toutes les photos, ont été prises
par G. Saugy, soit avec le 6x9 du cap. Rosset, soit avec
son propre Rolleiflex (6x6). Replaçons-nous à
l’époque: encore peu de personnes pratiquent le ski
dans les années 40, et encore moins nombreux sont les
soldats capables de le pratiquer dans des conditions
alpines comme celles de la région accidentée du Grand St.
Bernard. C’était donc un exploit de mettre sur de
lourds skis, avec sacs sur le dos et fusils en
bandouillères, ces hommes de quarante ans ou plus, pères de
famille; il est nécessaire de le rappeler.
Au printemps 1945 donc, les troupes alliées envahissent la
plaine lombarde. Des déserteurs individuels se présentent
tout d’abord au col ou sont interceptés. Ils
prenaient un double risque: la feld-gendarmerie allemande
les aurait fusillés et les résistants valdotains ne les
auraient pas épargnés. Ils se déplaçaient en se cachant ou
de nuit, sans avoir une notion précise de la géographie et
étaient recueillis par les soldats suisses patrouillant
depuis Bourg Saint Pierre ou depuis le col. A moins de 20
ans, le déserteur photographié avec le plt. Bach sur la
photo 4501 avait déjà fait la campagne de Lybie avec le
maréchal Rommel et la longue retraîte d’Italie!
Finalement, une section entière se présente en début de
soirée et est repérée alors qu’elle se regroupe sur
la rive italienne du lac en attendant des retardataires. La
photo d’Emile Gos, prise au début des années 20,
montre le lac et le monument de St. Bernard, côté italien.
La section attend la nuit pour se décider à traverser le
lac, et c’est l’appointé G. Saugy (photo 4508),
de garde cette nuit-là, qui arrête la section par un
« halt, sie sind in Schweiz ! », répondu par
« Gott sei dank ». Ils sont une poignée pour
arrêter et désarmer une trentaine de soldats armés,
entraînés au combat et encadrés par officiers et
sous-officiers. Les moines, eux, se livrent à leur vocation
d’accueil et de réconfort. Le lendemain matin les
Allemands sont priés d’exploser leurs grenades et
d’enlever les culasses de leurs fusils avant de
descendre à pied dans la neige en direction de Bourg Saint
Pierre, accompagnés par les Suisses à skis (photos 4502
& 4503). Une photo (4505) les montre dans la grande rue
de Bourg Saint Pierre, devant l’hôtel du Repos de
Napoléon, sous le regard de 3 mômes rentrant de
l’école et d’un cultivateur; ces soldats ne
sont pas débraillés et ont encore de l’allure; pour
eux, la guerre est heureusement terminée.
En ce mois d’Avril 1945, une autre caravane remonte
la vallée d’Entremont; c’est la princesse
Marie-José de Belgique, épouse d’Humberto, prince
héritier de la couronne d’Italie. Son propre pays
envahi par les armées d’Allemagne, alliée de
l’Italie de Mussolini, elle s’était exilée en
Suisse; elle rentrait en Italie rejoindre son mari promu
lieutenant-général du royaume par son père Victor-Emmanuel
III, trop compromis avec le régime fasciste de Mussolini,
dans l’espoir de sauver la royauté en Italie. Nous la
voyons se reposant à la cantine de Proz (photo 4506),
dernière étape avant la montée au col du Grand Saint
Bernard. Terminés les fastes et les limousines! la caravane
se compose d’un mulet, du muletier et de 2 porteurs
avec leurs cacolets. Marie-José se repose sur
l’escalier, le curé de Bourg Saint Pierre – ou
est-ce le prieur du monastère - lui sert un café, les
porteurs patientent, et le plt Bach s’assure
qu’elle gagnera le col en sécurité; « sic
transit gloria mundi » !
Enfin, après ces années de fureur, le 8 Mai 1945, les
canons se taisent, les cloches carillonnent et
l’appointé G. Saugy nous lègue cette photo (4507)
paisible de l’église de Bourg Saint Pierre. Les
soldats suisses rentreront dans leurs foyers, les soldats
allemands retrouveront leur pays détruit, et après un
référendum, Marie-José et Humberto seront bannis
d’Italie.
A gauche, la compagnie II/132 alignée pour la photo
souvenir. A droite, l'appointé Georges Saugy de garde au
Col du Grand St. Bernard.
Le premier déserteur allemand recueilli, sur la
route du Grand St. Bernard, avec le plt. Bach.
La section allemande regroupée devant les bâtiments
du monastère.
Dans la combe des Morts, en route vers Bourg Saint
Pierre.
La section désarmée dans la grande rue de Bourg
Saint Pierre, devant l'Hôtel du Déjeûner de Napoléon.
La caravane de Marie-José de Belgique se reposant
sur les escaliers de la cantine de Proz, en route vers le
Grand Saint Bernard et l'Italie.
Coupure de presse relatant l'évènement photographié
ci-dessus.
8 Mai 1945, l'église de Bourg Saint Pierre.
Médaille-souvenir Noël 1940.
GRAND SAINT BERNARD
1945
AQUARELLES Georges
SAUGY